Module M412-S1 - TD n°1 : les règles de droit
Chapitre 1. La définition de la règle de droit et la différence entre le droit objectif et les droits subjectifs
1.1. Le droit objectif : notion et finalité
1.1.1. Chiffres clés et règles de droit
1.1.2. Que signifie Nul n'est censé ignorer la loi ?
1.1.3. Finalité du droit et exigences pour que le droit soit accessible et pertinent
1.1.4. La complexité croissante du droit : un phénomène inquiétant
1.1.5. Question de synthèse
1.2. La notion d'ordre public
1.3. Question de synthèse
Chapitre 2. La distinction des règles de droit et des règles de morale
Chapitre 3. Les différentes branches du droit
Chapitre 4. Sites internet utiles à l'introduction du droit
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1.1.3. Finalité du droit et exigences pour que le droit soit accessible et pertinent

Objectif : comprendre l'état du droit objectif positif

 

Discours préliminaire sur le projet de code civil de Jean-Etienne-Marie PORTALIS

Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur exerce moins une autorité qu’un sacerdoce. Il ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; qu’elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites : qu’il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ; qu’il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu’en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction même ; qu’il serait absurde de se livrer à des idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d’une bonté relative ; qu’au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer ; que l’histoire nous offre à peine la promulgation de deux ou trois bonnes lois dans l’espace de plusieurs siècles ; qu’enfin, il n’appartient de proposer des changements qu’à ceux qui sont assez heureusement nés pour pénétrer d’un coup de génie et par une sorte d’illumination soudaine, toute la constitution d’un État.


A l’ouverture de nos conférences. Nous avons été frappés de l’opinion, si généralement répandue, que, dans la rédaction d’un code civil, quelques textes bien précis sur chaque matière peuvent suffire, et que le grand art est de tout simplifier en prévoyant tout.
Tout simplifier est une opération sui laquelle on a besoin de s’entendre. Tout prévoir est un but qu’il est impossible d’atteindre.
Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compro­mettraient- la certitude et la majesté de la législation. Mais un grand État comme la France, qui est à la fois agricole et commerçant, qui renferme tant de professions différentes, et qui offre tant de genres divers d’industrie, ne saurait comporter des lois aussi simples que celles d’une société pauvre ou plus réduite.


Dans les états despotiques, où le prince est propriétaire de tout le territoire, où tout le commerce se fait au nom du chef de l’État et à son profit, où les particuliers n’ont ni liberté, ni volonté, ni propriété, il y a plus de juges et de bourreaux que de lois ; mais partout où les citoyens ont des biens à conserver et à défendre, partout où ils ont des droits politiques et civils, partout où l’honneur est compté pour quelque chose, il faut nécessairement un certain nombre de lois pour faire face à tout. Les diverses espèces de biens, les divers genres d’industrie, les diverses situations de la vie humaine, demandent des règles différentes. La sollicitude du législateur est obligée de se proportionner à la multiplicité et à l’importance des objets sur lesquels il faut statuer. De là. dans les codes des nations policées, cette prévoyance scrupuleuse qui multiplie les cas particuliers, et semble faire un art de la raison même.


Nous n’avons donc pas cru devoir simplifier les lois au point de laisser les citoyens sans règnes et sans garantie sur leurs plus grands intérêts.
Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. Qui pourrait penser que ce sont ceux mêmes auxquels un code paraît toujours trop volumineux, qui osent prescrire impérieusement au législateur la terrible tâche de ne rien abandonner à la décision du juge ?


Quoi que l’on fasse, les lois positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l’usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie. Les besoins de la société sont si variés, la communication des hommes est si active, leurs intérêts sont si multipliés et leurs rapports si étendus, qu’il est impossible au législateur de pourvoir à tout.


Dans les matières mêmes qui fixent particulièrement son attention, il est une foule de détails qui lui échappent, ou qui sont trop contentieux et trop mobiles pour pouvoir devenir l’objet d’un texte de loi.


D’ailleurs, comment enchaîner l’action du temps ? Comment s’opposer au cours des événements ou à la pente insensible des mœurs ? Comment connaître et calculer d’avance ce que l’expérience seule peut nous révéler ? La prévoyance peut-elle jamais s’étendre à des objets que la pensée ne peut atteindre ?


Un code, quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé, que mille questions inattendues viennent s’offrir au magistrat. Car les lois, une fois rédigées, demeurent telles quelles ont été écrites ; les hommes , au contraire, ne se reposent jamais ; ils agissent toujours ; et ce mouvement, qui ne s’arrête pas, et dont les effets sont diversement modifiés par les circonstances, produit à chaque instant quelque combinaison nouvelle, quelque nouveau fait, quelque résultat nouveau.


Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à l’empire de l’usage, à la discussion des hommes instruits, à l’arbitrage des juges.
L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière.


C’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application.


De là, chez toutes les nations policées, on voit toujours se former, à côté du sanctuaire des lois, et sous la surveillance du législateur. un dépôt de maximes, de décisions et de doctrines qui s’épure journellement par la pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s’accroît sans cesse de toutes les connaissances acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai supplément de la législation.


….Pour combattre l’autorité que nous reconnaissons dans les juges, de statuer sur les choses qui ne sont pas déterminées par les lois, on invoque le droit qu’a tout citoyen de n’être jugé que d’après une loi antérieure et constante.


Ce droit ne peut être méconnu. Mais, pour son application, il faut distinguer les matières criminelles d’avec les matières civiles.
Les matières criminelles  qui ne roulent que sur certaines actions, sont circonscrites : les matières  civiles ne le sont pas. Elles embrassent indéfiniment toutes les actions et tous les intérêts compliqués et variables qui peuvent devenir un objet de litige entre des hommes vivant en société. Conséquemment, les matières criminelles peuvent devenir l’objet d’une prévoyance dont les matières civiles ne sont pas susceptibles.


En second lieu, dans les matières civiles le débat existe toujours entre deux ou plusieurs citoyens. Une question de propriété, ou toute autre question semblable ne peut rester indécise entre eux. On est forcé de prononcer ; de quelque manière que ce soit, il faut terminer le litige. Si les parties ne peuvent pas: accorder elles-mêmes, que fait alors L’État ? Dans l’impossibilité de leur donner des lois sur tous les objets, il leur offre, dans le magistrat public, un arbitre éclairé et impartial dont la décision les empêche d’en venir aux mains, et leur est certainement plus profitable qu’un litige prolongé, dont elles ne pourraient prévoir ni les suites ni le terme. L’arbitre apparent de l’équité vaut encore mieux que le tumulte des passions.


Mais dans les matières criminelles, le débat est entre le citoyen et le public. La volonté du public ne peut être représentée que par celle de la loi-Le citoyen dont les actions ne violent point la loi, ne saurait donc être inquiété ni accusé au nom du public. Non seulement alors on n’est pas forcé de juger, mais il n’y aurait pas même matière à jugement.


La loi qui sert de titre à l’accusation doit être antérieure à l’action pour laquelle on accuse. Le législateur ne doit point frapper sans avertir : s’il en était autrement, la loi, contre son objet essentiel, ne se proposerait donc pas de rendre les hommes meilleurs, mais seulement de les rendre plus malheureux, ce qui serait contraire à l’essence même des choses.


Ainsi, en matière criminelle, où il n’y a qu’un texte formel et préexistant qui puisse fonder l’action du juge, il faut des lois précises et point de jurisprudence. Il en est autrement en matière civile : là, il faut une jurisprudence, parce qu’il est impossible de régler tous les objets civils par des lois, et qu’il est nécessaire de terminer, entre particuliers, des contestations qu’on ne pourrait laisser indécises, sans forcer chaque citoyen à devenir juge dans sa propre cause, et sans oublier que la justice est la première dette de la souveraineté.


…Il y a une science pour les législateurs, comme il y en a une pour les magistrats; et l’une ne ressemble pas à l’autre. La science du législateur consiste à trouver, dans chaque matière, les principes les plus favorables au bien commun ; la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage- et raisonnée, aux hypothèses privées ; d’étudier 1’esprit de la loi –quand la lettre tue, et de ne pas s’exposer à être tour à tour esclave et rebelle, et à désobéir par esprit de servitude.


Il faut que le législateur veille sur la jurisprudence : il peut être éclairé par elle, et il peut, de son côté, la corriger ; mais il faut qui il y en ait-une. Dans cette immensité d’objets divers, qui composent les matières civiles, et dont le jugement, dans le plus grand nombre de cas, est moins l’application d’un texte précis, que la-combinaison de plusieurs textes qui conduisent à la décision bien plus qu’ils ne la renferment, on ne peut pas plus se passer de jurisprudence que des lois. Or, c’est à la jurisprudence que nous abandonnons les cas rares et extraordinaires qui ne sauraient entrer dans le plan d’une législation raisonnable, les détails trop variables et trop contentieux qui ne doivent point occuper le législateur, et tous les objets que l’on s’efforcerait inutilement de prévoir, ou qu’une prévoyance précipitée ne pourrait définir sans danger. C’est à l’expérience à combler successivement les vides que nous laissons. Les codes de peuples se font avec le temps ; mais, à proprement parler, on ne les fait pas.


(Extrait de ce discours, présenté le 1er pluviôse an IX)
Source : http://ledroitcriminel.free.fr ( juillet 2011)

Question n° 1 :

Quelle est la finalité du droit ?

Question n°2 :

A quelle(s) qualité(s) doit répondre le droit pour être accessible et utile aux citoyens ?

Questions n°3 :

a) Quel est l’équilibre préconisé par l’auteur pour que le droit soit de qualité ?

b) L’équilibre est –il le même dans toutes les matières juridiques ? Si la réponse est négative, exposer la différence.

 

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