La société de l'information
Le
monde où nous vivons est de plus en plus contrasté.
Une société high-tech se profile à
l'horizon proche. Étincelante d'ordinateurs
et de robots, elle déverse sans fatigue les
bienfaits de la nature en un flot de nouveaux produits
et services sophistiqués. Propres, silencieuses
et hyperefficientes, les nouvelles machines de l'ère
informatique ont mis le monde à portée
de main et nous ont donné une capacité
de contrôle inimaginable il y a à peine
un siècle sur notre environnement et sur les
forces de la nature. En surface, la nouvelle société
de l'information semble n'avoir que peu de ressemblances
avec les peintures que Dickens fit des premiers pas
de l'ère industrielle. Avec ses nouvelles machines
intelligentes et puissantes, le poste de travail automatisé
semble être la réponse au rêve
vieux comme l'humanité d'une vie libérée
du labeur et de la peine. Les usines obscures du deuxième
âge industriel ont pour la plupart disparu.
L'air n'est plus noirci par les fumées des
fabriques ; les ateliers, les machines et les ouvriers
ont perdu leur masque de graisse et de crasse. Le
chuintement frénétique des fourneaux
et le vacarme incessant des machines colossales ne
sont plus qu'un lointain écho. Le doux ronronnement
des ordinateurs les a supplantés: il propulse
les informations dans les circuits et les chemins
électroniques, pour transmuter les matières
premières en une profusion infinie de marchandises.
Tel est le tableau que nous présentent le plus
souvent les médias, les universitaires, les
futurologues et les milieux dirigeants. L'autre versant
de cette techno-utopie naissante, jonché par
les victimes du progrès technologique, n'est
que faiblement évoqué dans les rapports
officiels, les études statistiques et quelques
récits de vies perdues et de rêves éteints.
Les nouvelles technologies de l'information ôtent
aux travailleurs tout contrôle sur le processus
de production: des instructions détaillées
sont directement programmées dans la machine
qui les exécute mot pour mot. Le travailleur
n'a plus la possibilité d'exercer un jugement
autonome, que ce soit dans l'atelier ou au bureau,
et n'a pratiquement plus de contrôle sur le
résultat de son travail, dicté à
l'avance par des experts en programmation. Avant l'ordinateur,
la direction énonçait des instructions
précises sous forme de " planning "
que les ouvriers étaient ensuite censés
respecter. L'exécution des tâches était
entre leurs mains et il était donc possible
d'introduire une dose de subjectivité dans
le processus. Dans l'exécution de son programme
de travail, chaque employé(e) imprimait sa
marque, unique, sur le processus de production, Le
passage de la production planifiée à
la production programmée a altéré
dans son essence la relation de l'ouvrier à
son travail. Aujourd'hui, un nombre grandissant de
travailleurs n'agissent plus que comme observateurs
: ils sont incapables de participer ou d'intervenir
dans le processus de production. Les événements
qui se déroulent dans l'usine ou au bureau
ont été programmés par une autre
personne qui, peut-être, ne participera personnellement
jamais à l'avenir automatisé, au fur
et à mesure de son déroulement.