Module M412-S1 - TD n°6 : les droits subjectifs
Chapitre 1. Les droits patrimoniaux
Chapitre 2. Les droits extrapatrimoniaux
2.1. Les droits de la personnalité
2.2. Présomption d'innocence
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2.2. Présomption d'innocence

L'affaire DSK signe-t-elle la mort de la présomption d'innocence ?

Point de vue | LEMONDE.FR | 13.07.11 | 09h09   •  Mis à jour le 13.07.11 | 09h21 • par Sylvain Cormier, avocat

L'affaire dite "Dominique Strauss Kahn" aura démontré la mort de la présomption d'innocence, et ce en dépit des derniers rebondissements favorables à sa défense, ne serait-ce que dans la vie médiatique et peut-être même dans notre société toute entière.

Après l'affaire dite Outreau, les journalistes avaient juré qu'on ne les y reprendrait plus. De colloques, en formations, en passant par la publication de livres sur l'affaire par les journalistes l'ayant suivie, il était affirmé que les médias respecteraient désormais, ou avec plus de vigilance, le principe de présomption d'innocence.

Ces excellentes résolutions ont pourtant et de manière tout à fait surprenante, accouché d'un tic journalistique dévastateur. En fait de précaution et de respect de la présomption d'innocence, les journalistes ont tous, presque unanimement et quelque soit le vecteur d'information (cela aussi est déroutant), créé puis utilisé quasiment systématiquement, une nouvelle figure de style accablante.

Pour désigner une personne suspectée, dans un article, un commentaire radio ou télévisé, au nom du respect de l'innocence présumée il est devenu systématique d'arracher à l'expression "présomption d'innocence" le mot "présomption", pour lui accoler la désignation criminelle de l'affaire : "meurtrier présumé", "assassin présumé", "violeur présumé" etc.

Le suspect devient ainsi "l'auteur présumé". Ont même fleuri lors de compte rendu d'affaires terroristes, des "islamistes présumés" (Est-ce à dire qu'il s'agissait de musulmans présumés, lesquels seraient présumés terroristes ?). Cette expression insolite présumant le caractère criminel d'un individu censé pourtant être innocent, est d'un usage désormais généralisé. Cette monstruosité sémantique, bien loin de garantir le respect de la notion d'innocence présumée, la détruit, aussi sournoisement qu'implacablement.

Il y a là à mon sens une attaque frontale et systématisée aux principes essentiels de la République, de la présomption d'innocence et du respect d'un procès équitable et par tant de la démocratie. Ce type d'expression est ravageur et vaut toutes les condamnations avant procès. Bien plus accusateur que l'utilisation du mot suspect d'ailleurs. L'expression est inexacte qui plus est, car en démocratie, l'innocence seule se présume, tout le reste se prouve.

Les effets négatifs de cette formule sont inquiétants. Comment une personne que la presse décrit comme le "meurtrier présumé" pourrait être innocentée ? Cela paraît des plus délicats. Le serait-elle par miracle dans une affaire médiatique, comment pourrait-elle vivre à nouveau, après cette présentation désastreuse ?

Difficile… Voire impossible en réalité. L'expression éminemment condamnable ne signifie-t-elle pas implicitement qu'il existe chez cette personne des éléments constitutifs de sa personnalité qui en font le coupable désigné ?

On indique clairement que le désigné est coupable sauf extraordinaire. Il s'agit en réalité d'une étiquette, voire littéralement d'une mise à l'index pratiquement ineffaçable. Cela est bien pire que d'être présenté comme un suspect. Car, nous avons tous la culture des romans et films policiers, et nous savons tous et toutes qu'un suspect à un moment donné de l'enquête n'est pas forcément le coupable.

Le "monstre présumé", lui n'est pas un suspect, un simple suspect, il est bien pire. Il est le coupable présumé, dont on présume d'ailleurs également les pires intentions. Le "coupable présumé" ne peut pas être présumé innocent. D'autant que cette présomption de culpabilité s'accompagne d'autres présomptions toutes défavorables en réalité à la personne mise en cause dans une enquête.

Après avoir désigné "le coupable présumé", les médias créent de toute pièce une autre présomption : Il sera rappelé presque systématiquement que la plaignante ou le plaignant est "la victime présumée". La chose est faite avec bonne conscience, comme s'il s'agissait d'équilibrer le pendant de la présomption d'innocence qu'on affirme avoir protégé : "c'est que la victime aussi est présumée dire vrai".

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet affirmait avec un aplomb serein et d'ailleurs avec l'assentiment de toute l'équipe des matins de France Culture dont elle était l'invitée, que dans l'affaire dite DSK il fallait se souvenir que la plaignante était la victime présumée puisqu'elle n'avait aucune raison de mentir : il fallait considérer ses dire comme vrais. Or si on accepte l'idée selon laquelle, le ou la plaignante est "présumée victime", il faut en connaître le véritable coût, qui n'est rien moins que la mort de la présomption d'innocence.

Celui ou celle désigné(e) par un ou une plaignante que l'on considère comme victime présumée ne peut être lui aussi dans le même temps présumé innocent. Il y a deux présomptions opposées et l'une doit céder. Dans les médias force, est de constater que c'est la présomption d'innocence qui s'efface. D'autant qu'il existe une dernière étape de ces présomptions en chaîne : les faits. Même s'ils sont contestés on invoquera, y compris dans les médias les plus sérieux, leur caractère là encore, présumé… Et bien entendu, ces faits sont toujours présumés dans leur pire acception.

Ainsi, Libération.fr relatant la mort terrible d'une jeune collégienne de Florensac sous les coups d'un adolescent, titrait que le "meurtrier présumé" était en garde à vue. C'est dire qu'était présumée immédiatement, la volonté de tuer du gardé à vue. Irresponsable escalade du pire !

Cette présomption du pire laisse des traces, elle marque évidemment le suspect au fer rouge, mais aussi la famille des victimes maintenue dans la vision la plus insoutenable des événements.

Pourquoi et comment dans une société démocratique, en est-on venu à ne présumer que le pire, la culpabilité ou le caractère monstrueux d'un individu et ce, parfois jusqu'à l'absurde ? Un avocat n'est pas en mesure de répondre à cette question. Seulement un constat s'impose : il s'agit d'un dangereux renoncement à nos valeurs. Il n'y a guère de remède à cette nouvelle manie qui est un reflet inquiétant de notre société.

Cela sera sans doute insuffisant mais il faudrait dans un premier temps revenir à une terminologie plus simple, plus précise et surtout vraiment respectueuse de la présomption d'innocence.

Pourquoi ne pas appeler "la victime présumée" une plaignante ou un plaignant ? Ce statut n'a rien d'injurieux ou de dévalorisant et il a l'avantage d'être aussi précis qu'exact juridiquement. Le plaignant dénonce des faits qui devront être prouvés car ils ne peuvent être présumés.

On appellerait une personne mise en cause dans une affaire criminelle ou délictuelle comme étant "suspectée" par les enquêteurs. Un "suspect" dont il serait rappelé que l'innocence seule, est présumée.

N'oublions pas qu'il s'agit du pacte de confiance social essentiel sur lequel repose une démocratie. Et n'oublions pas tous ces "présumés coupables" innocentés en définitive chaque année et leur calvaire lorsqu'il reprenne leur vie, après avoirporter cette monstrueuse étiquette lorsque leur affaire a eu les honneurs de la presse.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/07/13/l-affaire-dsk-signe-t-elle-la-mort-de-la-presomption-d-innocence_1547465_3232.html

 

Question :

L’auteur pense-t-il que la présomption d’innocence est respectée en France ? (synthèse en quelques lignes de l’article du Monde)

 

 

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