Football : de l’euphorie au lynchage
          Sofia Eliza Bouratsi, doctorante en philosophie  à Paris -1 ; Jean-Marie Brohm, Professeur de sociologie à l’Université  Montpellier III ; Fabien Ollier, directeur de publication de la revue  « Quel sport », 
          Le Monde, Mardi 29 juin 2010 
        A  tous les niveaux de la compétition mondiale, les matches sont à présent devenus  des exutoires aux pulsions mortifères. Dans un contexte d’affrontements  binaires, « à la vie, à la mort » entre équipes qui représentent tout  pour les supporteurs et qui sont au centre d’enjeux identificatoires  instrumentalisés, par les puissances économiques et politiques qui contrôlent  le football, tout ce qui vient frustrer les vibrations collectives et les  extases de victoire suscite chasse à l’homme, bagarres généralisées, émeutes  contre l’ennemi, désignation et persécutions des « coupables » ou  responsables.
        Ces  déchainements de violences mimétiques (René Girard), ces explosions de haines  archaïques et régressives ne sont pas simplement le reflet dans le milieu du  football d’une société désintégrée par les crises successives de la  mondialisation. Elles sont aussi le résultat spécifique de la violence  symbolique structurelle du football et du sport en général : celle qui  consiste à opposer les gagnants aux perdants, les forts aux faibles, les  champions aux loosers dans une logique obsessionnelle de sérialisation inégalitaire.
        Depuis  la qualification des bleus pour la coupe du Monde 2010, grâce à une main de  Thierry Henry, le football s’impose donc plus que jamais comme une manipulation  des émotions dans l’espace public de notre société. La  « footballisation » des esprits, y compris chez bon nombre  d’intellectuels, de journalistes, de stars du show-business et de responsables  politiques s’est incontestablement aggravée depuis l’hystérie collective de  1998 : une nouvelle éclipse de la raison replonge la France dans l’obscurantisme  du ballon rond.