Extrait d'un entretien de Michel Serres, à propos du sommet de Copenhague, Le Monde, mardi 22 décembre 200

Lecture active

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La journaliste Catherine Vincent : ces ruptures que vous décrivez dans « Temps des crises », quelles sont-elles ?

Michel Serre : la première, la plus profonde sans doute, c'est la disparition de la majorité paysanne. Au début du XXème siècle, il y a en Occident 60 à 65 % des paysans : en l'an 2000, il en reste 1,8%. Cette chute brusque des populations rurales, qui va gagner rapidement les autres parties du monde, marque la fin d'une période qui a commencé...avec le néolithique.

Or, la nouveauté d'un événement est toujours proportionnelle à la longueur de l'ère précédente. C'est donc un bouleversement considérable qui vient de se produire, dont les conséquences commencent seulement à se faire sentir. La bête rurale n'est pas la même que la bête urbaine, ce n'est pas le même « être au monde »...Et notre époque connait bien d'autres ruptures. Dans des domaines aussi variés et importants que l'habitat, l'espérance de vie, la démographie, les communications, tout est véritablement en train de se transformer. Mais il y a une chose qui n' a pas changé, ce sont nos institutions. Et vous voudriez que cela n'explose pas ? Avec des instances gouvernementales prévues pour un milliard d'habitants quand nous sommes six milliards et demi ; pour des paysans , quand nous sommes tous dans la ville ; pour des gens qui mouraient à trente ans quand nous devenons centenaires ?

Cette intervention de Michel Serres s'appuie sur des thèmes qu'une première lecture peut observer grâce à deux termes au sémantisme fort« disparition » et« nouveauté » Ces deux termes opposés mettent en valeur le concept de transformation du monde contemporain.

Validité des thèmes

Pour confirmer la validité des thèmes, observons :

• la présence de champs lexicaux :
  • le thème de la disparition est « tissé » dans l'ensemble de l'entretien par « chute brusque », « ruptures », « fin d'une période » mais aussi par des expressions « n'est pas la même », « ce n'est pas le même »,
  • le thème de la nouveauté est lui aussi « tissé » dans le texte par « bouleversement considérable », « se transformer » « conséquences ».

• Les questions oratoires. EX : « vous voudriez que cela n'explose pas ? » = cela va exploser !

• L'exemple du monde rural est parlant comme illustration de la fin d'une forme de vie rurale.

• Des indices personnels. Ex : « vous » montre que Michel Serre s'adresse à la journaliste mais également à tous les lecteurs potentiels du journal .La présence récurrente de « nous » montre l'engagement de Michel Serre dans son propos. Il s'inclut dans notre devenir « nous sommes six milliards »
  
  

Bilan partiel de l'analyse :

Michel Serre constate le changement brutal de la société contemporaine, mais arrêter là l'analyse serait trahir par omission la pensée du philosophe :         

• la présence de plusieurs liens logiques incite à passer du constat à une structure de raisonnement :
  • « Or » (outil qui coordonne des propositions) introduit une nouvelle donnée, et relance l'orientation du raisonnement : « nouveauté » radicale du monde et non plus simple transformation !!
                             
  • « donc » mène à une conclusion partielle : « bouleversement considérable ».
• la présence d'une phrase à valeur de vérité générale grâce à l'emploi du présent intemporel, il s'appuie sur l'adverbe « toujours » : « la nouveauté d'un événement est toujours proportionnelle à... ».

        Volonté d'insistance de la part de Michel Serres ; dans quel but ?

• « Mais » permet de répondre. Ce terme oppose au concept de changement celui de non-changement des institutions : « Mais il y a une chose qui n'a pas changé, ce sont nos institutions »

La thèse de Michel Serre se déduit :

• du rapport d'opposition rencontré tout au long du texte entre les concepts de changement et celui d'immobilisme,
• du rapport d'opposition situé à l'intérieur des questions oratoires. Ex : « pour des gens qui mouraient à 30 ans quand nous devenons centenaires ? (quand = alors que)

Thèse : il est urgent de modifier les institutions pour agir efficacement sur le devenir de la planète.

 

Récapitulons l'analyse

Etape 1 - Constat : disparition du monde ancien vs nouveauté - concept de changement

Etape 2 - Ce concept de changement devient « bouleversement radical » (cf « or » « donc »)

Etape 3 - Bouleversement radical pour tout EXCEPTE les institutions (cf « mais »)

                                     
THESE : Michel Serre revendique le changement des institutions.

Le risque encouru

Le risque encouru lors de l’analyse de ce texte  est de ne sélectionner qu’une approche partielle de la thèse de Michel Serre : le constat d’un changement de la société, sans percevoir la dynamique argumentative qui met en accusation, par contraste, l’immobilisme de nos institutions.