Délibérer
Chapitre 1. Nous définissons
Chapitre 2. Testez-vous
Chapitre 3. La méthode
Chapitre 4. Exercez-vous
4.1. Exercice de niveau 1
4.2. Exercice de niveau 2
4.2.1. EXERCICE
4.2.2. Questions
4.2.3. Corrigé
4.3. Exercice de niveau 3
Chapitre 5. Vous retenez
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4.2.1. EXERCICE

C’est quoi une guerre juste ?
Le Monde, Culture et idées. Samedi 24 septembre 2011

S’appuyant sur son ardente opposition à la guerre américaine au Vietnam, Mickael Walser rafraîchit le concept en publiant Guerres justes et injustes, en 1977. Pour lui, « les guerres justes sont des guerres limitées, menées conformément à un ensemble de règles destinées à éliminer, autant qu’il se peut, l’usage de la violence et de la contrainte à l’usage des populations non-combattantes ».

Les théoriciens de la guerre juste s’opposent à la fois aux pacifistes qui pensent que toute guerre est injuste et que l’unique réponse est la non-violence, et aux réalistes qui croient que les valeurs morales ne doivent jouer aucun rôle dans la décision d’entrer en guerre ; les réalistes appuient leur raisonnement sur les croisades ou l’extermination des Indiens d’Amérique, où la morale a joué un rôle décisif et terrible. Mais ils n’ont pas de réponse aux guerres coloniales et peinent à expliquer qu’un pays entre en guerre uniquement pour défendre ses intérêts stratégiques, politiques, ou économiques, sans porter secours à autrui.

Depuis Walter, la notion de « guerre juste » a évolué, secouée par diverses influences. Par le droit d’ingérence conceptualisé au début des années 80 par Bernard Kouchner et le juriste Mario Bettati, théorie qui a bouleversé les relations internationales en provoquant de facto ce qui fut qualifié « d’intervention humanitaire » contre la Serbie, mais qui n’a pas trouvé d’écho universel et reste controversé. Par l’évolution du droit international humanitaire, par la création d’une justice pénale internationale, en 2002. Et enfin par le concept de la « responsabilité de protéger » (R2P), prolongation habile du droit d’ingérence, adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en 2005, qui permet d’intervenir si une population est menacée, y compris par son propre gouvernement. Les gouvernements ont gagné une bataille avec la R2P, peut-être symbolique, car il est probable que ce concept sera très rarement appliqué, mais décisive. L’idée étant en relative contradiction avec la règle d’or de l’ONU, qui est que tout état est souverain.

Michael Walzer est à la fois un souverainiste et un interventionniste prudent. La guerre en Lybie est pour lui inacceptable ; « Walzer n’a pas accepté l’argument de l’imposition de la démocratie. Il en reste à la seule protection des civils », commente l’essayiste américain David Rieffe, auteur de deux livres passionnants sur l’humanitaire et les interventions armées. Pour lui, il s’agit de protéger les civils, « on aurait pu se contenter du premier raid qui a protégé Bengazi. Mais il était décidé dès le départ que Kadafi devait quitter le pouvoir ». David Rieffe considère qu’il y a des guerres justes, mais elles sont rarissimes. « Ce qui me pose le plus grand problème intellectuel, dit-il, c’est l’idée de la guerre humanitaire, l’argument moral, le fait de se parer d’une vertu. Quand on entre en guerre, il faut en accepter la responsabilité. L’argument humanitaire est une manière de nier cette responsabilité ».

Pour le conflit en Lybie, David Rieff estime que l’argument humanitaire est un prétexte, un triomphe aussi des tenants du droit d’ingérence ; « Un Kouchner ou un Bernard-Henri Levy » veulent en fait accompagner l’histoire en marche, le « printemps arabe ». Sarkozy s’est rallié à cette idée, Kouchner doit être ravi. Mais sommes-nous sûrs que ces rebelles libyens incarnent le « printemps arabe » ? Et alors pourquoi ne pas intervenir en Syrie ? Et pourquoi ce silence sur la répression des manifestations à Bahreïn menée grâce à une autre intervention étrangère, celle de l’Arabie Saoudite ? » […]

Le médecin et essayite Rony brauman, ancien président de médecins sans frontières et théoricien de l’humanitaire, est sur la ligne de david Rieffe […] « Sans être pacifiste, je pense que la guerre est le pire moyen de faire de la politique ; les peuples qui se rebellent contre les tyrannies doivent se donner les moyens de leur propre combat ».

Le philosophe rejette l’argument de Rieff, pour qui l’intervention aurait pu s’arrêter à la destruction de la colonne de chars menaçant Benghazi. « Quand on a affaire avec un dictateur qui a promis de noyer son peuple dans des rivières de sang, il ne suffit pas d’arrêter la colonne, il faut arrêter le général en chef. Le but de la guerre juste est donc d’obtenir son départ ». A l’opposé du lyrisme du philosophe, on trouve l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Vedrine qui se sent « mal à l’aise avec la notion même de guerre juste, avec des occidentaux qui prétendent toujours avoir les valeurs les plus hautes » […]

Sur la Lybie, la perception du caractère juste de la guerre sera de toute façon fort différente si les rebelles plongent le pays dans une guerre civile ou tribale, ou s’ils instaurent une paix durable. Il dépendra de la nature de l’éventuelle paix, avec une justice équitable ou expéditive, avec ou sans démocratie ; car, comme le souligne Colomonos, « in fine, la chance joue un certain rôle dans l’appréciation rétroactive de la guerre qui a été menée ».

 

 

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