Umberto Eco, le livre et la lecture numérique
25ème Salon international du livre et de la presse de Genève (29 avril>3 mai 2011)

Interview d’Umberto Eco concernant le débat sur l’arrivée du livre numérique, 31 mars 2011

 

Arguments et contre-arguments

• Livre numérique : ses qualités

1. Une meilleure lisibilité pour les personnes qui vieillissent.

2. Possibilité de transporter « sa bibliothèque » avec soi, ses documents, surtout lors de voyages.

• Livre numérique : ses limites vs livre imprimé

Dans un débat, toute valorisation d’un objet ou toute dévalorisation induit implicitement valorisation ou dévalorisation de l’autre objet du débat. Ainsi les qualités du livre imprimé dénoncent implicitement les manques du livre numérique.

3. Relation physique, charnelle, érotique avec le livre vs relation « froide » avec l’objet ordinateur.

4. Syntaxe bouleversée : l’écriture manuscrite suit la logique de la pensée vs Les nouvelles technologies peuvent changer la façon d’écrire : écrire sur ordinateur permet de déplacer des blocs entiers de texte. Or, en écrivant on lie les blocs par des mots de liaison : « cependant », « au contraire, » « toutefois ». Que deviennent-ils dans l’écriture numérique ?

5. Spontanéité de l’écriture manuscrite menacée par correction excessive facilitée par l’ordinateur.

La qualification ou la disqualification des objets du débat font appel...

• aux valeurs pragmatiques : valeur relevant de l’utile (les arguments 1 et 2 en faveur du livre numérique),
• aux valeurs hédonistes : valeur relevant du plaisir (argument 3 : livre imprimé charnel, érotique),
• aux valeurs rationnelles : valeur relevant de la logique, de la cohérence (argument 4 et 5).

Où vous situez-vous dans ce débat entre livre imprimé et livre numérique ?

Bien sûr, je ne répondrai pas à votre place. Je me contenterai de vous rappeler que toute prise de position dans un débat relève souvent de sa propre situation au moment de ce débat : un jeune est séduit par les nouvelles technologies ; il apprécie quand le temps est compté, de pouvoir annuler un paragraphe et le remplacer immédiatement par un autre que l’on peut déplacer, manipuler à sa guise. Les valeurs pragmatiques peuvent l’emporter.

Les choix d’Umberto Eco ne doivent pas vous surprendre...

D’où (je veux dire : quelle situation est la sienne) nous parle-t-il ? De son statut d’écrivain, amoureux de la trace papier, des ratures du brouillon, du tâtonnement de la main sur le papier. Bref, c’est un amoureux du livre imprimé, objet de désir.

Les risques encourus dans ce débat seraient de congédier les arguments jugés trop spécifiques, trop spécialisés (ceux de l’écrivain), pour opter, sans prendre le temps de la découverte ou de l’écoute attentive des autres points de vue, pour les nouvelles technologies, leur rapidité et leur efficacité.