Faire le tableau des changements dorientation provoqués par le renouvellement des analyses théoriques et par la persistance dun taux de chômage sensiblement supérieur à celui qui correspond aux mauvais ajustements temporels (chômage frictionnel) ou structurels (changements technologiques) de loffre et de la demande de travail n'est pas facile, mais il faut bien essayer.
Tant que le taux de chômage est resté relativement peu élevé, les pouvoirs publics répondaient aux tensions inflationnistes accompagnant une croissance économique forte par des politiques budgétaires et monétaires restrictives (réduction des dépenses publiques, augmentation du taux dintérêt) et inversement dès quun ralentissement de lactivité menaçait lemploi, les politiques de relance étaient mises en uvre (baisse des taux dintérêt, augmentation des dépenses publiques ou diminution des prélèvements obligatoires).
La conviction que les politiques conjoncturelles de soutien de la demande sont efficaces, et qu'il est possible d'arbitrer entre l'inflation (ou la croissance du salaire nominal) et le chômage s'appuyait sur la coube de Phillips..
Politique économique et emploi : le passage des politiques conjoncturelles aux politiques structurelles
Le succès de la critique menée par Milton Friedman renverse la stratégie parce qu'il fait du chômage involontaire la conséquence dun mauvais fonctionnement du marché du travail. En renonçant aux politiques de stimulation de la demande, les pouvoirs publics doivent selon lui sorienter vers des politiques structurelles.
Cest ce quils ont fait mais comme la réforme du marché du trvaail et la recherche de la flexibilité prennent du temps et exigent des décisions difficiles à faire accepter politiquement, les pouvoirs publics ont dans le même temps utilisé largement le traitement social du chômage.
- Si le chômage ne peut être réduit en soutenant la demande de produits adressée aux entreprises, on peut essayer de réduire le coût du travail soit de manière globale soit pour certaines catégories de salariés (allègements de charges). On peut aussi réformer le marché du travail en modifiant les conditions dembauche, de licenciement, de rémunération...
- Traiter socialement le chômage cest faire en sorte que des statuts intermédiaires entre le chômage et lemploi rendent le chômage supportable ou moins visible.
Peut-on transposer les solutions qui semblent marcher ailleurs : bench-marking des politiques de lemploi
Le bench-marking est une analyse comparative dans laquelle on observe les solutions adoptées par dautres pour en retirer le meilleur.
Dans la panoplie des idées qui marchent ailleurs il y en a 3 qui se présentent avec la force de lévidence : (1) le développement des "petits boulots" correspondant au "gisement demplois des services rendus aux ménages", (2) la mise en uvre dune flexibilité compensée par une plus grande sécurité des parcours professionnels, désignée comme une flexisécurité, enfin, (3) les aménagements de la négociations salariales.
(1) Pour les services rendus aux ménages, lexemple vient des États-Unis et il semble bien adapté à des économies caractérisées par le vieillissement de la population. Sans même évoqué les services à la personne qui seraient une solution à laugmentation dune population dépendante, on donne souvent en exemple le développement des emplois dans le secteur du commerce de détail aux États-Unis relativement au petit nombre demplois du même type en Europe.
Comment expliquer que ce secteur ne se développe pas en Europe autant quaux États-Unis.
Les explications sont nombreuses :
- un pouvoir dachat plus élevé des ménages américains (30 % de plus) mais cette mesure dépend beaucoup du taux de change du dollar, il faudrait plutôt insister sur les inégalités de revenu nettement plus forte aux États-Unis ;
- un plus grand nombre de salariés à temps partiel, y compris à très court terme parce que de nombreux salariés cumulent plusieurs emplois ;
- moins de petits commerçants indépendants aux États-Unis et comme ces derniers travaillent un grand nombre dheures cela réduit le nombre de travailleurs (salariés et indépendants) employés dans le commerce ;
- les magasins américains offrent plus de services aux consommateurs et il sagit souvent de services intensifs en main-doeuvre.
On notera que cest seulement dans les hypermarchés que le coût du travail est plus faible aux États-Unis, et de ce fait il ne peut donc expliquer quune faible partie de lécart constaté dans le nombre des emplois. Ainsi les différences sont essentiellement liées à lécart de niveau et de genre de vie entre ménages européens et américains.
On peut donc considérer quune baisse des charges sociales patronales pour ce secteur naurait aucun impact sur déterminants principaux mais quen revanche elle contribuerait à abaisser la protection sociale et donc le niveau des revenus de transfert en raison du déficit de cotisations qui en résulterait. Toutes circonstances qui ne sont pas de nature à augmenter la demande des ménages.
(2) Pour la flexisécurité, lanalyse des stratégies de retour à lemploi de quelques pays permet de se faire une idée. Le problème est en effet de faire en sorte que si le chômage ne peut pas être évité en raison du rythme élevé des mutations technologiques et de la compétition mondiale, du moins les chômeurs sortent le plus rapidement possible du chômage (voir l'analyse de la flexibilité et de la flexicurité dans cette page dédiée).
En Grande -Bretagne la stratégie de retour à lemploi repose sur leffort individuel, en particulier en matière de formation mais aussi de recherche demploi.
En Autriche, au Danemark, les stratégies reposent davantage sur une organisation et une gestion collective en matière de protection de lemploi et du chômage.
- Les marchés transitionnels ont pour objectif déviter le chômage de longue durée disqualifiant les salariés qui en sont victimes en leur permettant de rester sur le marché du travail, surtout pour les moins qualifiés, ou dy entrer plus facilement par le biais demplois temporaires qui assurent à leurs bénéficiaires un complément de formation et de qualification.
- On connaît le contenu de la flexisécurité danoise : centralisation des organismes de lemploi et de laide sociale sous un seul ministère ; code du travail très allégé, très peu dinterventions de lÉtat dans la législation ; licenciement très facile pour les entreprises ; dialogue social développé entre patronat et syndicats puissants ; indemnisation du chômage dans des conditions avantageuses ; fortes incitations à reprendre un emploi pour le chômeur (obligations de formation, suivi, sanctions financières...)
On retrouve toutes ces idée dans des rapports publiés dès 2004 en France.Il sagit de lever toute la réglementation contraignante pour les licenciements économiques mais avec la contrepartie de la prise en charge par lentreprise qui licencie dune partie du coût social du chômage.
Il est important de noter que le modèle de flexisécurité porte sur lemploi et pas sur les salaires. Cest là quintervient la discussion sur le degré de rigidité des négociations salariales car si lanalyse qui explique le chômage par le mauvais ajustement des salaires est valide, alors les pays qui ont la plus forte flexibilité salariale devraient avoir le plus faible taux de chômage. De ce point de vue les travaux publiés par lOCDE ne confortent pas ce raisonnement.Le Royaume-Uni et le Danemark ont les plus faibles degrés de réglementation, pourtant les salaires y sont rigides à la baisse (la flexibilité salariale est pratiquement nulle) et les délais dajustement de lemploi proches de la moyenne (6,5 trimestres).
LItalie et la France ont des niveaux de réglementation plus élevés, pourtant la flexibilité salariale y est plus forte en particulier en Italie, le pays le plus réglementé, selon lOCDE, dans les années 1990.
Au total, le degré de réglementation du marché du travail, tel quil est analysé par lOCDE, ne confirme pas lhypothèse néoclassique de corrélation étroite avec la flexibilité de lemploi et des salaires.
Ainsi, le Royaume-Uni, qui a connu la plus forte déréglementation de son marché du travail depuis les années 1980, en particulier avec la suppression du salaire minimum (rétabli à la fin des années 1990), ne présente pas une situation bien différente de celle de la France en matière de flexibilité des salaires et de lemploi.
(3) Les négociations salariales peuvent se dérouler au niveau de lentreprise, du secteur dactivité et/ou être menées au niveau national. Elles peuvent être plus ou moins coordonnées.
Selon lanalyse néoclassique, les pays où la négociation salariale est la plus décentralisée et la moins coordonnée devraient connaître un meilleur équilibre entre loffre et la demande de travail, puisque ces pays seraient plus proches de la situation de concurrence. Un fort degré de centralisation et de coordination des négociations devrait conduire à des rigidités défavorables à lemploi.
- Si le Royaume-Uni et les États-Unis semblent confirmer cette hypothèse. Par contre, le groupe des pays à négociation centralisée et coordonnée affiche pour beaucoup dentre eux de bonnes performances en matière demploi (Autriche, Luxembourg, Danemark, Irlande, Norvège...).
- La situation semble plus défavorable pour les pays caractérisés par des modèles intermédiaires de négociation salariale. Cest le cas en particulier pour la France qui connaît un très faible degré de coordination des organisations syndicales et une tendance à renforcer la négociation au niveau de lentreprise, tout en conservant des accords de branche.
- Ainsi les données concernant le chômage ne corroborent pas lidée dune supériorité dun marché du travail concurrentiel pour améliorer la situation de lemploi.
Lorsque les organisations syndicales coordonnent leurs actions, elles sont en mesure de peser davantage sur les négociations et évitent une concurrence qui les affaiblit. En même temps, les accords passés avec les représentants des employeurs ont un plus grand degré de légitimité, de visibilité, de durabilité. Le compromis a une plus grande stabilité, ce qui assure aux relations du travail un caractère plus prévisible.
Des négociations centralisées, en particulier au niveau national, permettent davantage de rendre les accords compatibles et équitables. Ils ont alors moins de risque dêtre à tout moment remis en cause par un groupe particulier.
Le cas des grandes entreprises aux États-Unis (lindustrie automobile est lexemple habituel) est intéressant à un double titre :
- la négociation porte à la fois sur les salaires et les effectifs
- elle intervient avec une périodicité assez longue (4 ans le plus souvent)
- Les accords de salaire sont fixés pour 4 ans et lentreprise est ainsi à labri des variations conjoncturelles et des réactions des salariés, en contrepartie les salariés ont des garanties en matière de licenciement. Ces derniers sont parfaitement libres et peuvent intervenir sans délai mais avec une logique particulière : dernier entré - premier sorti.
Le salarié licencié bénéficie par ailleurs dune priorité lors de la reprise des embauches.
Cest à partir de ce modèle que la théorie des contrats implicites a été construite : le contrat est en fait une convention portant sur les deux aspects évoqués, il est implicite parce que chaque partie poursuit un objectif prioritaire : lemployeur veut connaître à lavance le coût du travail, les salariés veulent être relativement protégés contre les périodes longues de chômage.