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3.5. Exemple : élaboration d'une synthèse de documents.
Corpus :
Doc.1 : Thomas More, Utopie, 1516, Livre second.
Doc.2 : Rabelais, Gargantua, 1534.
Traduit
de l'Ancien français
par Marie Lecomte
Doc.3 : Voltaire, Candide ou L'Optimisme, chap. XVIII, 1759.
Doc.4 : Victor Hugo, Paris
au XX ème siècle, 1867.
Doc.5 : H -G. Wells, La
Machine à explorer le temps, 1895.
Doc.6 : Emile Zola, Travail, 1901.
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3.5.1 Lecture analytique et tableau comparatif.
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Nature du document,
paratexte, thème |
Structure,
liens logiques |
Enonciation,
tonalité |
Implicite,
référents culturels |
L'île d'Utopie |
-écrit critique,
-auteur anglais du XVI° siècle,
-un pays imaginaire,
-champs lexicaux :
*sécurité+gens
du pays,
*danger+étrangers.
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-conjonctions marquant l'opposition,
-description allant du général au particulier. |
-narrateur omniscient
-indices de lieux,
-temps présent => île
et ses habitants,
-conditionnel
=> étrangers.
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Utopie est une île
= >lieu clos,
-comparée à un astre, la lune = dans l'univers. |
L'Abbaye de
Thélème |
-roman,
-auteur français du XXVI° siècle,
-vie des habitants d'une abbaye imaginaire,
-champs lexicaux :
*loi, contrainte + vice,
*liberté +
vertu,
*beauté et
vigueur,
*instruction et
goût du travail,
*amour.
|
-devise mise en évidence,
-conjonctions marquant le rapport cause/conséquence. |
-narrateur omniscient
-indices de temps marquant
la durée,
-temps du récit,
-présent de vérité générale,
-lexique appréciatif,
-figures de style :
*anaphores,(1)
*accumulations,(2)
*antithèse,(3)
*hyperboles,(4) *comparaison.(5)
|
-idée que la liberté génère la vertu et le bonheur,
-conception positive du genre humain.
-lieu clos, protecteur pour ses habitants. |
L'Eldorado |
-conte
philosophique,
-auteur français
du XVIII° siècle,
-récit d'un voyage
initiatique,
-champs lexicaux : *royauté/familiarité, *splendeur,
*sciences.
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-deux paragraphes avec un lien chronologique. |
-narrateur
omniscient
-indices de temps
et de lieux internes au récit,
-temps du récit,
-paroles rapportées
au discours indirect => questions/réponses,-figures
de style : *anaphore,(1) *accumulations,(2) *hyperboles.(3)
|
-allusion à la monarchie absolue, au château de Versailles => ironie.
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Le rêve d'une ville |
-discours
politique,
1867.
-auteur
français du XIX° siècle,
-vision
de la société future,
-champs lexicaux
: *richesse et savoir, *réflexion,
*vertu,
*barbarie.
|
-texte descriptif avec une progression à thème constant. |
-indice
de temps par rapport au moment de l'énonciation,
-discours au futur
=> vision,
-personnification
de la nation désignée par "elle",
-emploi
du pronom "on" universel,
-figures
de style : *hyperbole,(1)*accumulation,(2)*antiphrase,(3)*comparaisons
passé/futur.
-tonalité polémique
et lyrique.
|
-cette visionse
comprend par rapport aux combats de Victor Hugo : paix, liberté,
peine de mort.
-le meilleur se trouve dans l'avenir
|
Le progrès dans l'avenir |
-roman d'anticipation,-auteur
anglais du XIX° siècle, 1895.
-rapports homme/ nature,
-champs
lexicaux : *nature,
*activité humaine,*réussite/échec.
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-connecteurs chronologiques, -conjonctions marquant le rapport causes/
conséquences.
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-indices de temps par rapport au moment de l'énonciation,
-temps présent
et futur,
-lexique
appréciatif désignant le futur et l'emprise de l'homme
sur la nature.
-présence du "je" du
narrateur.
-figures de style :*anaphore,(1)*personnification.(2)
|
-idée que le meilleur se trouve dans l'avenir. |
La Cité rêvée |
-écrit
philosophique et social, 1901.
-auteur français,
fin XIX° siècle,
-vision d'une cité industrielle,
-champs lexicaux:
* le
travail,
* bonheur,
* la
cité triomphante,
* misère
ouvrière,
* le
rêve.
|
-connecteurs chronologiques. |
-narrateur
omniscient
-temps du récit,
-conditionnel pour désigner
le futur,
-lexique appréciatif
pour désigner la cité naissante,
-phrases amples.-figures
de style :
*
métaphore maritime
*
hyperboles,(1)
*
antithèse,(2) *interrogation
oratoire.-emphase,
tonalité lyrique.
|
-contexte de révolution industrielle et de prolétarisation des campagnes.
-le travail apportera le bonheur dans l'avenir.
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3.5.2 Dégager le plan de la synthèse.
- Le thème des documents nous montre qu'il s'agit toujours de descriptions de lieux et de sociétés imaginaires.
- Les champs lexicaux du bonheur, de la beauté de la prospérité se rencontrent dans tous les textes è ces deux indices caractérisent le genre de l'utopie.
- Les trois premiers textes, allant du XVI° au XVIII° siècles, décrivent des lieux clos, protecteurs pour leurs habitants mais hostiles aux étrangers. Il n'y a pas d'indications de lieux et de temps précises. Ils font tous référence au pouvoir, à la monarchie, et par opposition à la liberté considérée comme génératrice de bons instincts.
- Le texte de Voltaire fait le premier allusion à la science, avec une modalisation positive. L'idée de progrès humain lié au progrès scientifique se retrouve dans le texte de Wells.
- Nous retrouvons aussi l'idée qu'une société heureuse est une société instruite et travailleuse, dans laquelle l'intelligence humaine progresse.
- Les trois derniers textes, contemporains de la révolution industrielle, situent leurs utopies dans le futur : ils sont en cela une critique de la société contemporaine et un rêve de société idéale.
Nous
pouvons maintenant formuler la problématique de cet ensemble de
documents :
L'humanisme
de la Renaissance a fait naître l'idée du progrès de la société et de la perfectibilité de l'homme; cette idée trouve son expression dans le genre littéraire
de l'utopie. Quelles en sont les caractéristiques et les
significations?
Plan proposé.
I - Les caractéristiques de l'Utopie.
1) Les constantes :
- des lieux et des sociétés imaginaires,
- des sociétés heureuses et riches,
2) Les particularités :
a- Jusqu'au XVIII° siècle :
- hostilité aux étrangers,
- réaction contre le pouvoir absolu.
b- Au XIX° siècle :
- société plus ouverte et pacifique,
- progrès lié à la science et au travail.
- vision du futur.
2 - Les significations de l'utopie.
1) La nostalgie du paradis :
- des lieux idylliques,
- des habitants parfaits,
2) La vision d'une société idéale :
- une nature domestiquée par l'homme,
- une société instruite et réfléchie,
- la paix et la liberté,
- la misère vaincue.
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3.5.3 Synthèse rédigée.
L'utopie, comme genre littéraire, apparaît avec l'humanisme de la Renaissance. Elle accompagne une nouvelle conception de l'histoire, considérée en termes de progrès.
Au
XVI°siècle, Thomas More (Utopie, 1516) et Rabelais,
avec sa description de l'Abbaye de Thélème à la fin
de Gargantua (1534), imaginent les premiers des sociétés idéales. Dans l'Eldorado décrit
par Voltaire (Candide, 1759) un "palais des sciences" semble contribuer au bonheur des habitants. Ce rôle bénéfique du progrès et du savoir, dans un avenir mythique, est repris au XIX°siècle
par Victor Hugo (Paris au XX°siècle,1867), H-G. Wells (La
Machine à explorer le temps,1895) et enfin Emile Zola (Travail,1901).
L'utopie
est donc porteuse d'une vision du monde qui évolue du XVI° siècle au XX° siècle. Il est intéressant de déterminer comment et pourquoi certains écrivains l'ont imaginée.
L'analyse
des documents nous permet de constater des traits constants dans les descriptions
mais aussi des particularités liées au contexte historique et social ; nous pouvons en outre y retrouver les nostalgies et les espérances des hommes de l'époque
moderne.
L'utopie se présente toujours comme un récit se déroulant dans un pays imaginaire. Aucun des auteurs ne le localise précisément : Thomas More décrit une île en forme de croissant de lune, évoquant l'univers ; nous ne savons pas où est l'Abbaye de Thélème, pas plus que l'Eldorado ; le Paris de Victor Hugo est celui qu'il imagine au XX° siècle, le monde de Wells est le fruit de La Machine à explorer le temps et la cité de Zola est celle que Luc "apercevait déjà de ses yeux de voyant".
Les
habitants de ces lieux ont certes visage humain, mais ils sont gratifiés de qualités extraordinaires : ceux de l'île d'Utopie sont très habiles à se protéger, ceux de Thélème
et de Paris au XX° siècle n'ont que des qualités ; il n'y a pas besoin de prison en Eldorado et le roi est un brave homme ; dans le monde de Wells, les hommes agiront "sagement et soigneusement".
Dans
tous les documents, on relève le lexique du bonheur, de la richesse, de la beauté, de la réussite. C'est donc une société idéale qui est décrite.
Cependant, nous pouvons relever aussi des caractéristiques particulières : jusqu'au XVIII° siècle, l'utopie se situe dans des mondes clos, hostiles aux étrangers ; la description de l'île de T. More développe le champs lexical de la sécurité et le conditionnel suggère que la présence d'étrangers n'est qu'hypothétique;les habitants de Thélème doivent "aller au dehors".
D'autre
part, la liberté est la devise de Thélème dont les habitants doivent "renverser ce joug de la servitude". Quant au roi d'Eldorado, on doit "le baiser des deux côtés" et il prie ses hôtes "poliment à souper". Il est facile de lire là une satire du pouvoir absolu qui régit la vie politique française à cette époque.
Au XIX° siècle par contre, les écrivains imaginent des sociétés plus ouvertes et pacifiques. La "nation extraordinaire" de Victor Hugo sera "pacifique, cordiale au reste de l'humanité" ; pour Wells "le monde entier…recherchera la coopération".
Le
progrès imaginé est lié au travail et à la science : déjà Voltaire évoque "un palais des sciences" ; Wells parle de "monde intelligent" et Zola utilise l'hyperbole pour décrire "l'usine élargie" qui apporte au "salariat" "sa triomphante floraison de santé et de joie".
L'utopie
du XIX° siècle se décrit enfin au futur, alors que celle des siècles précédents l'est au présent ou au passé.
Pays imaginaires et sociétés idéales…quels regrets et quels espoirs sont-ils donc exprimés là?
L'analyse des documents fait apparaître une double orientation, vers le passé et en direction du futur.
En
effet, les lieux décrits par l'ensemble des auteurs présentent toutes les caractéristiques du paradis perdu, celui d'avant le pêché originel : Voltaire et Zola utilisent les figures d'insistance et l'hyperbole pour décrire des villes belles et accueillantes, Wells une nature nourricière. Rabelais et Hugo n'ont pas de mots assez forts et élogieux pour qualifier les habitants de leurs pays imaginaires : ils sont naturellement enclins à faire le bien, à être pacifiques et tolérants.
L'utopie
est donc très fortement imprégnée de culture judéo-chrétienne.
Mais
elle apparaît aussi progressiste. Wells se projette dans un monde futur où la nature est domestiquée, "soumise" par l'homme. Les grands dangers naturels seraient éradiqués par "l'équilibre de la vie animal et de la vie végétale". Ce progrès serait l'œuvre d'une société instruite et intelligente : on retrouve le champs lexical de l'instruction et du savoir chez Rabelais, Voltaire et Hugo qui développe, par le lexique de la réflexion, l'image d'une société "pensante". Cette société est libre pour Rabelais et Hugo. Quant à Zola, son utopie prend des allures de projet socialiste, avec une vision du monde ouvrier heureux, de la misère vaincue grâce à une Cité idéale décrite à travers une métaphore
maritime.
L'utopie est donc bien
aussi tournée vers l'avenir et imagine un monde amendé qui reflète la foi dans le progrès
moral et la confiance dans le pouvoir de la science.
L'utopie apparaît donc comme une aspiration de communion retrouvée avec la nature, dans un Eden imaginaire. Elle est aussi une satire du présent, une critique de l'organisation sociale existante et la projection de volontés de réformes. Elle symbolise enfin les rêves d'émancipation des courants socialistes du XIX°siècle et la grande illusion du bonheur par le progrès scientifique.
Mais
les tragédie du XX° siècle vont ruiner toutes ces espérances
et c'est une contre-utopie que l'ont voit surgir dans 1984 de G. Orwell ou Le Meilleur des mondes de
Huxley, qui décrivent des univers écrasants et totalitaires où le désir forcené de
bonheur a fini par tuer le bonheur.
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