Au moment où les politiques conjoncturelles (budgétaire et monétaire) deviennent moins efficace et sont soumises à des contraintes limitant leur utilisation (pacte de stabilité et de croissance et autonomie de la Banque centrale européenne) l'intérêt pour la politique fiscale s'est accru d'autant que de nouvelles préoccupations pour lesquelles l'instrument fiscal semble pertinent - les externalités dont il faut combattre ou au contraire encourager - ont émergé.
1. Les objectifs
Les prélèvements fiscaux comme les autres prélèvements obligatoires sont en principe d'abord destinés à financer les dépenses publiques. Cela implique d'une part qu'ils font l'objet d'un vote annuel (la loi de finances) autorisant l'Etat et les autres administrations publiques à "lever" l'impôt et d'autre part la perception par les citoyens d'une équivalence entre l'utilité qu'ils retirent des services publics qu'ils consomment et le "prix" fiscal qu'ils acquittent.
Les prélèvements fiscaux participent aussi à la redistribution. Si la redistribution horizontale, celle qui opère des transferts intervenant entre ménages situés dans la même tranche de revenus, ou qui sont fondées sur d'autres critères que le revenu passe essentiellement par la protection sociale dont une partie seulement (20%) est financée par l'impôt, la redistribution verticale parce qu'elle prend en compte la hiérarchie des revenus et cherche à en réduire les inégalités s'effctue principalement par la des impôts progressifs.
La fiscalité pouvant influencer les comportements des demandeurs et des offreurs de produits elle est devenue "naturellement" un instrument de la politique économique de régulation. Un aménagement de la fiscalité peut soutenirla demande dans une perspective keynésienne. Il peut aussi chercher à favoriser l'épargne et réduire la part des prélèvements supportés par les entreprises. On comprend facielement qu'il peut y avoir une contradiction entre l'objectif de financement des dépenses et cette volonté d'agir sur la conjoncture. Les dépenses publiques évoluent avec une grande régularité parce qu pour une partie très importante (plus de 90%) elles correspondent à des engagements durables, alors que la croissance de la production évolue irrégulièrements sous l'effet des chocs conjoncturels.
Les incitations fiscales jouent un rôle croissant même si elles sont utilisées depuis longtemps (le quotient familial par exemple est un élément de la politique nataliste adoptée pendant la seconde guerre). L'utilisation d'incitations pour encourager tel ou tel comportement de dépense ou d'épargne reste d'un usage fréquent (déduction pour les travaux d'amélioration de l'habitat, pour les dons caritatifs...) mais ce qui est nouveau c'est le développement des incitations fiscales cherchant à décourager les activités nuisibles ou encourager les activités socialement appréciées de manière positive.
Un prélèvement fiscal a deux effets sur le comportement du contribuable : un effet revenu parce que l'impôt réduit le revenu disponible et un effet substitution parce que l'impôt change les conditions d'arbitrage entre une dépense et une autre. Une augmentation des taxes sur le tabac réduit le revenu des fumeurs ce qui doit les inciter à réduire leur consommation de tabac, c'est l'effet revenu. Mais l'augmentation du prix relatif des cigarettes va aussi avoir un effet substitution variable avec le degré d'addiction du fumeur. Le résultat final final dépend en fait de l'élasticité de la consommation de tabac au prix (taxes comprises) du tabac. Cet exemple illustre le fondement de l'utilisation des incitations fiscales qui à défaut de modifier les comportements, augmentent le coût privé d'un comportement ayant des effets collectifs négatifs. Le tabagisme a un coût social important (dépenses de santé) qu'il faut reporter en partie sur les responsables. Il en va de même des taxes visant les activité polluantes.
2. Les contraintes.
Financer les dépenses publiques par l'impôt pose un certain nombre de problèmes lié au comportement plus ou moins "citoyen" du contribuable. Dans la mesure où les dépenses publiques sont votées, elles expriment dans le cadre de la démocratie représentative la "volonté du peuple". Mais les citoyens mesurent mal l'intérêt collectif alors qu'ils perçoivent très bien le poids des prélèvements qu'ils subissent. Ainsi l'individu qui n'a pas d'enfants n'est pas concerné directement par les dépenses d'éducation, la politique familiale, les dépenses du ministère de la jeunesse et des sports, celui qui ne prend jamais le train n'est pas sensible aux aménagements des lignes de TGV... Il y a donc un problème d'acceptation de l'impôt. Le refus de l'impôt prend au moins deux formes : la fraude fiscale (mauvaise foi du contribuable qui dissimule la base de l'imposition) et l'évasion fiscale (bonne foi du contribuable qui utilise au mieux la loi pour réduire son impôt). Pour combattre la fraude il faut augmenter le nombre et la sévérité des contrôles, pour réduire l'évasion fiscale il faut supprimer les "niches fiscales". La première mesure est impopulaire et renvoie à l'image d'un Etat policier et de l'inquisition fiscale d'autant plus facilement que le sentiment que les prélèvements sont des ressources qui seront ensuite gaspillées est plus répandue. La seconde est populaire auprès de ceux qui ne bénéficient pas de ces niches fiscales mais leur suppression pose une question simple : si elles ont été adoptées c'est parce qu'elles devaient avoir des effets positifs sur le boien être collectif. Il faut alors procéder à une évaluation rigoureuse de chaque mesure fiscale dérogatoire.
Parce que l'impôt affecte les ressources du contribuable il est a priori désincitatif. La formes la plus célèbre de cette affirmation est la fameuse courbe de Laffer (du nom de l'économiste conseiller du Président Reagan qui l'a popularisée). Si, sur un diagramme on porte en abscisse le taux d'imposition des ressources privées, de 0% à 100%, et en ordonnées les recettes fiscales, la forme de la courbe doit être d'abord croissante, puis après être passée par un maximum elle est décroissante. Le raisonnement est très simple : l'impôt est désincitatif, il y a donc un seuil du taux d'imposition qui entraine une baisse de l'activité assez forte pour annuler le gain en recettes fiscales qui devrait accompagner l'augmentation du taux d'imposition. Le succès de cette présentation a été considérable du fait de sa simplicité, elle permettait même de dire qu'en réduisant le taux d'imposition il était possible d'augmenter les recettes fiscales ! Cela revient à dire que l’effet d’une augmentation de la pression fiscale passe entièrement en effet de substitution pour le travail relativement au loisir (le coût relatif du loisir baisse, donc l’offre de travail diminue), l’effet revenu étant supposé négligeable (le travailleur pourrait en effet travailler plus pour compenser la diminution de son revenu disponible). Pour le capital, l’augmentation de l’imposition dissuade d’épargner et encourage la consommation (le taux de rendement net des placements diminuant).
Lorsqu'il participe à la campagne de Ronald Reagan Arthur Laffer estime que le système américain est caractérisé par la position T' , il en déduit que la fiscalité américaine est contre-productive. Il faut réduire la pression fiscale pour rétablir les motivations des apporteurs de facteurs de production. Cette réduction d’impôt aura des effets bénéfiques sur l’offre qu’il convient de distinguer des effets prévus par les keynésiens dans la même hypothèse d’une diminution des prélèvements. Dans le premier cas c’est l’offre qui est visée, alors que dans le second c’est la demande (la réduction d’impôt constituant une augmentation du revenu disponible pour la dépense privée). Le "paquet fiscal" voté dans le cadre de la "loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat" (dite loi Tepa) poursuivait d'ailleurs les deux objectifs. Les divers études empiriques effectuées ne permettent pas de vérifier la pertinence de cette analyse sauf pour des taux marginaux très élevés, mais ces derniers sont extrêmement rares. Une variante de ce comportement lié au caractère désincitatif de l'impôt est l'émigration vers un pays offrant une fiscalité plus légère. Là encore, les exemples existent mais ce comportement reste lui aussi marginal.
Les comportements d'évitement augmentent les coûts d'administration qui comprennent l'ensemble des coûts spécifiques engendrés par le processus de taxation (coûts administratifs, recouvrement, contrôle) et de ce fait réduisent le rendement de l'impôt. Tous les impôts n'onta pas le même rendement. Celui de la TVA est élevé parce que les coûts sont faibles, en revanche celui de la taxe audiovisuelle était affaibli par un coût important avant la récente réforme.
Le caractère redistributif de la fiscalité pose la question du conflit entre efficacité et équité.
La notion d’efficacité de l’impôt, de même que celle de justice fiscale n’est pas univoque. Du point de vue des gestionnaires des finances publiques, un impôt est efficace si ses recettes sont abondantes et si son coût de recouvrement est faible, autrement dit si son rendement est élevé.. Du point de vue de la société tout entière, l’efficacité de l’impôt fait plutôt référence à la minimisation de son coût économique : un impôt sera dit efficace si les distorsions qu’il engendre dans le système de prix et de coûts relatifs auquel sont confrontés les agents privés de l’économie sont relativement faibles. Tous les économistes sont d'accord pour dire qu'un impôt sera d’autant plus efficace que son assiette sera large (l'assiette c'est la base de l'imposition) et son taux faible. Quant à la norme de justice il existe deux grandes traditions, la doctrine du bénéfice (calcul de l’impôt à partir du bénéfice retiré de l’action publique par le contribuable) et celle de la faculté contributive (l'impôt est lié à la situation financière du contribuable).
La mondialisation et les contraintes environnementales changent la donne de la politique fiscale. Peut-on faire prévaloir une concurrence fiscale loyale entre nations souveraines, tout en supprimant les formes de concurrence déloyales ? Quelle est la manière la plus judicieuse de taxer les entreprises mondiales ? Comment les responsables des politiques fiscales peuvent-ils contribuer à construire un avenir « plus écologique » ?
Il y a trois répenses possibles : l' isolationnisme, l’harmonisation du régime fiscal international, et la coopération mettant en place des systèmes transparents et par l’échange d’informations avec les autres pays.Les deux premières ré"ponses sont improbables et mal adaptées. Ll'isolationnisme est inconcevable aujourd'hui, et l'harmonisation non seulement est difficile à imaginer mais elle est très discutable : pourquoi un Etat renoncerait -il à un élément essentiel de sa souveraineté sachant que les problèmes à régler par la fiscalité ne sont pas les mêmes partout. Les progrès récents réalisés dans la lutte contre les paradis fiscaux vont dans ce sens.