La demande de monnaie dans l'analyse économique
Les théories monétaires ont pour objectif d’analyser les relations
causales entre le volume (la quantité) de la monnaie en circulation et
certaines variables économiques. Elles décrivent le mécanisme de
transmission des changements intervenant dans la circulation monétaire
aux effets produits sur les variables dites " réelles " (emploi, niveau
d’activité) et/ou sur les prix.
1) Théorie quantitative de la monnaie
Pendant longtemps, les économistes ont considéré que la monnaie n’a pas
d’utilité propre, elle ne procure aucun avantage, il n’y a donc aucune
raison de conserver de la monnaie. Toute l’épargne étant dans ces
conditions nécessairement placée, la confrontation de l’offre de
capital (constituée par l’épargne) à la demande de capital (pour
financer l’investissement) détermine le prix du capital (le prix des
fonds prêtables), qui n’est rien d’autre que le taux d’intérêt.
Épargner c’est renoncer à consommer tout de suite en espérant obtenir
une plus grande satisfaction en consommant davantage plus tard. Pour
décider un agent à épargner il faut que la rémunération qu’il reçoit en
contrepartie compense la perte d’utilité (de satisfaction) provoquée
par le fait qu’il renonce à consommer une partie de son revenu. En
effet, consommer tout de suite apporte plus d’utilité que consommer
plus tard puisque consommer plus tard c’est prendre le risque que cette
consommation ne soit plus possible : on dit que les agents ont une
préférence pour le présent (recevoir 1000 euros aujourd’hui est
toujours préféré à recevoir 1000 euros dans un an). Pour décider un
agent à emprunter il faut que le supplément de rendement
(investissement) ou d’utilité (crédit à la consommation qui permet de
consommer tout de suite) compense la dépense constituée par les
intérêts qu’il faut verser au prêteur. Dans ces conditions, il n’est
pas rationnel de conserver de la monnaie inemployée (ou bien on
consomme ou bien on place).
Tous les épargnants proposent leur épargne aux emprunteurs éventuels.
L’épargne constitue une offre de capital et elle d’autant plus élevé
que le taux d’intérêt est plus élevé. Les emprunteurs cherchent une
épargne disponible pour financer les projets qu’ils ne peuvent financer
seuls. Ils demandent du capital. La demande de capital est d’autant
plus élevée que le taux d’intérêt est faible.
Il existe un taux d’intérêt d’équilibre qui égalise l’offre globale de
capital (l’épargne de l’ensemble des agents) et la demande globale de
capital (la demande de capitaux pour financer l’investissement). Ce
taux d’intérêt dépend seulement des préférences des individus, du
système des prix relatifs et des grandeurs réelles (quantités
produites, revenu réel) .
Dans cette conception de l’épargne et de l’investissement le taux
d’intérêt est une grandeur réelle parfaitement indépendante de la
quantité de monnaie émise par les autorités monétaires. La
confrontation de cette offre de monnaie exogène et d’une demande de
monnaie entièrement déterminée par la valeur des transactions s’exprime
par l’équation de
la théorie quantitative :
Cette équation implique que toute augmentation de la quantité de
monnaie en circulation "M" entraîne une augmentation du niveau
des prix "P" si la quantité produite "Q" est indépendante
de la quantité de monnaie en circulation et si la vitesse de
circulation de la monnaie "V" est constante. Ces deux conditions sont
remplies dans l’analyse classique et néoclassique "basique" pour
laquelle la monnaie est simplement un instrument permettant de
faciliter les échanges.
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2) La théorie keynésienne
Lorsque
John Maynard Keynes écrit la Théorie générale de
l’emploi de l’intérêt et de la monnaie, il propose une analyse
économique faisant une place nouvelle à la monnaie en posant qu'elle
présente un avantage important : la monnaie est un actif sans risque
présentant l’avantage d’être immédiatement disponible.
On peut
conserver de la monnaie parce que la liquidité est un avantage qui
compense le fait que la monnaie ne permet pas de percevoir un revenu.
Cette conception de la monnaie complète l’analyse keynésienne du
partage du revenu entre consommation et épargne.
Ainsi, le taux d’intérêt ne sert pas à décider si on affecte le revenu
à la consommation ou à l’épargne.
Le taux d'intérêt n’est pas le
prix qu’il faut payer pour compenser la préférence pour le présent du
prêteur, c’est le prix qu’il faut payer pour compenser la préférence
pour la liquidité, autrement dit pour que l’épargnant décide de
placer son épargne.
Si on accepte cette présentation,
une partie de la demande de
monnaie dépend du taux d’intérêt. Si le taux d’intérêt est
inférieur à celui qui compense la préférence pour la liquidité, alors
les agents renoncent aux placements financiers et thésaurisent
(conservent des liquidités). La demande de monnaie de spéculation
diminue quand le taux d’intérêt augmente.
Dans la consommation est proportionnelle au revenu, et la relation
entre consommation et revenu est mesurée par la propension à consommer.
Une modification du taux d’intérêt n’affecte que très modérément le
comportement de consommation donc d’épargne puisque l’épargne c’est le
revenu qui n’est pas consommé.
Si l’épargne ne dépend pas du taux d’intérêt celui-ci ne peut plus être
le prix du capital (équilibre entre épargne et investissement) comme
dans la théorie traditionnelle. Le taux d’intérêt dans l’analyse
keynésienne a une autre fonction pour les épargnants. Il est le prix
qu’ils demandent pour renoncer à la liquidité. Plus le taux d’intérêt
est élevée et plus la demande de monnaie correspondant au motif de
spéculation (arbitrage entre liquidité et placement) est faible.
Pour la relation entre taux d’intérêt et investissement, l’analyse
keynésienne, par des moyens différents de l’analyse traditionnelle,
obtient les mêmes résultats. L’investissement est favorisé par des taux
d’intérêt faibles et pénalisé lorsque le taux d’intérêt augmente.
Ainsi le taux d’intérêt est présent dans les deux mondes que l’analyse
traditionnelle séparait.
- Dans le monde monétaire il est une des composantes de la demande de
monnaie.
- Dans le monde réel il est une des composantes de la demande de
produits (investir c’est acheter des équipements).
L’analyse dichotomique est remplacée par celle d’une économie monétaire
de production. L’augmentation de la quantité de monnaie en circulation,
toutes choses égales par ailleurs, entraîne une baisse des taux
d’intérêt, ce qui stimule l’investissement, la production et l’emploi.
La monnaie n’est plus neutre.
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3) Milton Friedman et la nouvelle théorie
quantitative/a>
En
1956,
Milton Friedman propose une
nouvelle théorie de la
demande de monnaie qui constitue selon lui une nouvelle formulation de
la théorie quantitative de la monnaie.
La demande de monnaie dépend de la richesse des individus et des
rendements anticipés des autres actifs comparés à celui de la monnaie.
Friedman cherche une relation déterminant la valeur désirée des
encaisses réelles (le pouvoir d’achat que les agents détiennent sous
forme monétaire).
Cette demande de monnaie pour une période donnée dépend selon lui du
revenu permanent, du rendement anticipé de la monnaie, du rendement
anticipé des actions, du rendement anticipé des autres titres, et du
taux d’inflation anticipé.
- Quand les rendements des actions des titres et des actifs autres que
la monnaie augmentent, la demande de monnaie diminue, puisque la
comparaison entre rendement de la monnaie et rendements des autres
actifs devient moins favorable à la monnaie.
- Quand l’inflation anticipée augmente la valeur des actifs détenus ne
se déprécie pas alors que celle de la monnaie diminue, donc il est plus
rentable de détenir des actifs réels que de la monnaie (on se débarasse
de la monnaie parce qu’elle perd de sa valeur).
- Quand le revenu augmente la demande de monnaie augmente parce que
plus de revenu permet plus de transactions.
La grande nouveauté dans cette analyse est le remplacement du revenu
courant par le revenu permanent.
- Le revenu courant : c’est le revenu perçu pendant la période. Il est
sensible aux évolutions conjoncturelles.
- Le revenu permanent : c’est un indicateur de la richesse. La richesse
d’un individu c’est son patrimoine, c’est un stock résultant de
l’accumulation de ressources pendant toute la vie. Le revenu permanent
c’est le revenu qu’un consommateur peut consommer en maintenant
constante la valeur de son capital, ou bien encore, si la richesse d’un
individu vaut 200 000 euros et si le taux d’intérêt annuel est de 5 %,
le revenu permanent vaut 10 000 euros
[
1].
Si la demande de monnaie dépend du revenu permanent elle est beaucoup
plus stable que si elle dépend du revenu courant qui est sensible à la
conjoncture et comporte une composante aléatoire. Comme par ailleurs
Milton Friedman montre que les mouvements du taux d’intérêt ne
modifient pas beaucoup les écarts entre les rendements des autres
actifs et celui de la monnaie, il peut conclure en disant que la
demande de monnaie ne dépend pas (ou très faiblement) du taux d’intérêt.
Dans ces conditions
la demande de monnaie ne dépend que du revenu
permanent et une augmentation de l’offre de monnaie qui dépasserait
celle de la production réelle ne peut avoir qu’un seul effet :
l’augmentation du niveau général des prix.
On retrouve le résultat de la théorie quantitative de la monnaie.
Mais, pour Milton Friedman, l’analyse doit être complétée par la prise
en compte des effets déstabilisants de l’inflation.
L’inflation a des conséquences dans l’économie réelle à court terme.
Selon Friedman, la monnaie n’est pas neutre elle est dangereuse quand
elle est manipulée sans précaution.
La consigne de politique monétaire devient une règle : il faut
absolument s’en tenir à une règle simple et connue de tous : la
croissance de la masse monétaire répond uniquement à celle de la
production, elle ne doit en aucun cas avoir pour objectif de modifier
le niveau de l’activité.
Notes :
[1] Ce concept peut
paraître compliqué et pour le comprendre il faut savoir ce que Friedman
voulait montrer. Pour lui, la consommation n’est pas proportionnelle au
revenu courant, elle est proportionnelle au revenu permanent. Un
individu ne modifie pas sa consommation habituelle parce que son revenu
varie accidentellement. Il adapte sa consommation à ce qu’il considère
être son standing de vie habituel, son revenu permanent. Il n’y a donc
pas de lien stable entre consommation et revenu courant
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