Le commerce international



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Que faut-il penser d'un déficit commercial ?

Ceux qui agitent les chiffres du commerce extérieur en annonçant la catastrophe s'appuient sur le fait que c'est un signe de mauvaise santé de l'économie :
1) acheter plus qu’on ne vend c’est un signe de mauvaise santé parce que cela indique que les producteurs résidents sont moins compétitifs ou faiblement innovants
2) acheter plus qu’on ne vend c’est un signe de mauvaise santé parce que cela ampute la croissante d’une partie de ses moteurs
3) acheter plus qu’on ne vend c’est un signe de mauvaise santé parce que cela conduit à s’endetter
4) acheter plus qu’on ne vend c’est un signe de mauvaise santé surtout quand c’est structurel.

Le déficit de notre commerce extérieur, serait responsable de la faible croissance économique, et traduirait le manque de compétitivité de l’économie française.

Sur le dernier point, la compétitivité, le dynamisme commercial et l’innovation, la France ne serait pas un grand pays exportateur.
Pourtant, si on mesure le montant d’exportation par tête d’habitant (seul critère de comparaison significatif), la France figure en deuxième place parmi les grands pays de l’OCDE, derrière l’Allemagne. Un Français exporte 60 % de plus qu’un Américain, 40 % de plus qu’un Espagnol, 35 % de plus qu’un Japonais, 10 % de plus qu’un Britannique ou un Italien. Et encore, l’exportation ne représente qu’une partie de l’expansion internationale des entreprises. Au cours des dix dernières années, les entreprises françaises ont investi à l’étranger au moins deux fois plus que les entreprises allemandes.
Certes les entreprises résidentes perdent des parts de marché mais ce n’est pas spécifique à la France et cela reste raisonnable : tous les pays occidentaux (l'Allemagne beaucoup moins que les autres) ont perdu des parts de marché, car la part des pays émergents et en particulier de la Chine a été multipliée par 4 en 15 ans, grignotant ainsi sur tout le monde. Si l’Allemagne maintient sa place c’est en prenant celle de ces voisins en Europe pas en conquérant les marchés attaqués par les pays émergents.
Sur les marchés de ces pays émergents les entreprises françaises occupent une place importante : au premier rang en Algérie et en Chine, au deuxième en Inde, au troisième en Russie... car les besoins de ces pays se situent exactement dans les secteurs où nous disposons de champions nationaux (transports, énergie, environnement, télécoms...). La force de l’Allemagne est dans ses exportations de biens d’équipement en particulier de machines, la force de la France est dans ces fournisseurs d’infrastructures même si la concurrence de nouveaux entrants comme la Corée du Sud est désormais une réalité.
Si les PME françaises exportatrices sont moins nombreuses qu’en Allemagne c’est d’abord explicable par la taille des deux économies, mais c’est aussi parce que le dynamisme du marché intérieur est assez fort pour absorber la croissance de la production des PME ce qui n’est pas le cas en Allemagne compte tenu de la politique de modération salariale pratiquée depuis plus de 12 ans en Allemagne.
Enfin il n’est pas certain que les commentaires dénonçant une mauvaise spécialisation de l’appareil productif français soient pertinents à long terme. les entreprises allemandes exportent beaucoup de biens d’équipement et profitent pleinement des besoins colossaux en équipements des pays émergents. Qu’en sera-t-il dans 10 ou 15 ans ? On peut certes faire valoir que cette spécialisation est ancienne (au moins 100 ans) mais les effets de la croissance des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) risquent fort d’être puissants. En revanche les entreprises françaises exportent (pas assez peut-être) des produits de consommation qui seront très demandés lorsque le niveau de vie des habitants des pays émergents aura opéré son rattrapage.

Sur le premier point, la relation entre excédent commercial et croissance, on peut très facilement rétorquer que de nombreux pays comparables en terme de niveau de développement obtiennent des taux de croissance sensiblement plus élevés que l’Allemagne avec des déficits importants sans même parler de l’économie américaine qui connaît un déficit commercial permanent (et vertigineux : 558 milliards de dollars en 2011 soit 3,7% du PIB) depuis... le début des années 1970 !
Par ailleurs depuis la création de la zone euro la croissance allemande n’est  supérieure à celle de la France que de 2006 à 2008, alors que sur le long terme, la France a généralement eu une croissance plus forte que l’Allemagne alors même qu’elle a connu plusieurs longues périodes de déficit commercial.

Croissance du PIB réel : indice 100 en 1999

Source : Reuters datastream, juillet 2012.

On pourrait aussi utiliser le contre exemple du Japon qui en dépit d’excédents commerciaux importants n'a toujours pas réussi à sortir de longue dépression de son économie.

Enfin plus généralement il faut peut-être se demander ce qu’est la santé d’une économie. Cette question conduit d’ailleurs à relativiser les performances allemandes qui serait devenue le laboratoire des réformes en Europe et une « économie de bazar ». C’est cela qui lui aurait permis d’exporter beaucoup sans changer sa structure sectorielle et en exploitant ses spécialisations traditionnelles.
_ - Les réformes du marché du travail, de la protection sociale et des finances publiques ont permis aux entreprises de réduire le coût du travail et de prendre ainsi les parts de marché des voisins européens moins rapides à réformer.

Cette politique non coopérative dont la TVA sociale a été le meilleur exemple n’est évidemment pas généralisable à toute l’Europe à moins de voir le marché intérieur européen s’effondrer ce qui ruinerait aussi les entreprises allemandes puisque la moitié des exportations allemandes restent en Europe et 75% si on prend l’Europe élargie.
_ - Les entreprises allemandes restent compétitives en important des produits intermédiaires depuis les pays émergents et ses voisin d’Europe de l’Est pour les transformer en produits "made in germany" qui sont ensuite réexportés. Si on parle d’économie de bazar c’est parce que cette logique de production réduit la part de la valeur ajoutée dans les exportations et dans la production industrielle en général. L’automobile illustre bien cela : lorsqu’une voiture est exportée, 100 % de sa valeur est comptabilisée alors que le pourcentage de la valeur ajoutée est de l’ordre de 12 %. En fait, l’essentiel de la valeur ajoutée relève de l’assemblage et de la distribution. Du coup comme il y a moins de valeur ajoutée à distribuer le partage entre salaires et profits devient plus délicat et les réformes évoquées plus haut permettent aux entreprises de maintenir et même d’augmenter leurs profits. Derrière les chiffres du commerce extérieur, il faut voir que l’Allemagne a réussi, grâce à un positionnement différent de ses entreprises, une délocalisation industrielle généralisée en Europe centrale et orientale, y compris de ses moyennes entreprises. Entre 1994 et 2005, la production a augmenté deux fois plus vite que la valeur ajoutée et, sur cette même période, l’économie allemande a perdu un million d’emplois. Les bénéfices que permettent les exportations viennent du fait qu’il est encore possible de faire payer très cher, encore, le « made in Germany », du fait de sa réputation.

Qui accepterait en France de soutenir un modèle qui, au prix de la stagnation du pouvoir d’achat, du recul des avantages acquis par la législation du travail et la protection sociale permet de construire une stratégie reposant sur deux piliers très fragiles : l’absence de réformes chez les voisins ou le dumping social d’une part, le pari que les pays émergents resteront durablement iincapables de maitriser les opérations de montage des produits finis.

Admettons qu’un excédent commercial puisse être un objectif, faut-il le poursuivre sans réfléchir aux moyens ?

Enfin pour le dernier point il semble bien que le mercantislisme a la peau dure. Ceux qui empruntent pour financer des dépenses allant au delà de leur revenu courant seraient irresponsables. C’est la condamnation du crédit et la valorisation d’un comportement archaïque dans les économies modernes. Aucune entreprise ne règle la totalité de ses dépenses dans l’instant. Quant aux ménages s’ils épargnent c’est le plus souvent une épargne non financière c’est-à-dire qu’ils empruntent pour acheter des logements. Si les prix des actifs (entreprises et logement augmentent et si la croissance économique permet d’atténuer les effets des taux d’intérêt (qui était jusqu’à une date récente historiquement bas en Europe compte tenu de la maitrise d l’inflation) alors où est le problème ?

Dans le caractère structurel du déficit extérieur nous dit-on.
Ce qui veut dire que l’euro fort, la dépendance énergétique avec un prix du pétrole qui augmente dans des proportions inattendues, le ralentissement de la croissance mondiale à la suite de la crise financière ne jouent en rien dans l’aggravation du déficit.
La mévente de certains produits qui compte beaucoup dans le solde extérieur, par exemple les ventes d’airbus, creuse mécaniquement le déficit. Un airbus 380 c’est 325 millions de dollars soit avec un euro à 1,3 dollars 250 millions d’euros et avec un euro à 1,5 dollars, 216 millions d’euros. Il suffit que 40 airbus manquent dans les carnets de commande et les exportations fléchissent de 10 milliards d’euros dans le premier cas et de près de 9 milliards dans le second cas.

Le gouvernement est libre d’adopter la stratégie allemande au moins pour ce qui est de la recherche d’une compétitivité prix mais il faut comprendre ce que cela signifie : des résidents qui se serrent la ceinture, travaillent de plus en plus, renoncent à certains acquis pour que les non résidents achètent les produits à leur place. Cela peut fonctionner pour un petit pays, tous les économistes le reconnaissent parce que les gains compensent les coûts, cela a fonctionné pour l’Allemagne parce qu’elle était la seule à le faire et les entreprises allemandes ont de plus en plus de mal à faire accepter ces réformes aux salariés. Le moteur interne de la croissance, la consommation des ménages et dans une moindre part l’investissement des entreprises ne prend pas le relais des exportations qui pourraient bien connaître une croissance moins vigoureuse lorsque les pays émergents passeront à d’autres étapes de la production.