Il fallait fixer et tenir le calendrier, apprécier les critères de convergence pour déterminer les pays pouvant être membre de l'UEM, prévoir un système monétaire pour les pays de l'Union européenne restant hors de l'UEM, élaboré un compromis pour fixer le cadre des politiques budgétaires...Paradoxalement, la décision d’accélérer la mise en place de l’union économique et monétaire va provoquer une crise profonde du système de change européen qui semblait stabilisé à la fin des années 80.
Comme prévu, l’Institut monétaire européen, chargé de préparer le lancement de la monnaie unique se met en place le 1er janvier 1994 - au début de la phase 2. Son siège est situé à Francfort. Entre 1994 et 1997, l’IME agit sur plusieurs fronts : il tente de renforcer la coopération entre les États membres en vue de parachever la convergence de leurs performances macro-économiques ; il élabore, en collaboration avec les banques commerciales, un système connecté de transferts de fonds de gros montants en temps réel (système TARGET") qui fonctionnera entre les banques de la zone « monnaie unique » ; il prépare enfin, en collaboration avec les banques centrales nationales, la circulation fiduciaire de la future monnaie unique (élaboration des maquettes des billets et pièces qui remplaceront les espèces nationales).

En décembre 1995, en marge et à l’occasion du Conseil européen de Madrid, les Quinze précisent les modalités concrètes du « basculement » en phase 3.

En avril 1996, le Conseil des ministres de l’Économie et des Finances, réuni à Vérone, décide de régler une épineuse question : celle des rapports futurs entre l’euro et les monnaies des pays qui ne peuvent - ou ne veulent - appartenir à l’Union monétaire dès son lancement. Quel est le fond du problème soulevé ? D’aucuns prétendent qu’en l’absence de règles et de disciplines claires, il y aurait un risque que certains de ces pays, membres du Marché unique et confinés à la lisière de l’Union monétaire, utilisent un jour leur taux de change, via une dépréciation compétitive, à des fins strictement commerciales (dumping monétaire). Dans un tel cas de figure, les pays de la zone euro seraient pénalisés et les pays « pré-Ins » auraient objectivement intérêt à demeurer d’éternels “passagers clandestins” (ceux qui profitent du système sans le subir) au sein de l’Union. On imagine alors sans peine les conflits qui pourraient surgir à partir d’une telle situation... C’est justement pour désamorcer d’éventuels litiges que le « compromis de Vérone » dispose de la création d’un « SME bis » : les monnaies des États restés hors système seraient arrimées à l’euro, en même temps que se poursuivraient, au sein de ces pays, les efforts de convergence préalables à un ralliement futur.

En septembre 1996, le même Conseil - réuni cette fois à Dublin - tente de régler une question tout aussi épineuse et bien plus cruciale : celle de la conduite des politiques budgétaires dans le cadre de l’Union monétaire à venir. Si le Traité prévoit bien d’inviter les États signataires à envisager une coopération, les modalités concrètes de la coordination restent en suspens. La première question qui se pose ici est celle de savoir s’il convient, ou pas, d’encadrer solidement cette coordination dans un ensemble de règles susceptibles de dissuader tout éventuel comportement de “passager clandestin”.
Pour corriger tout risque de dérapage budgétaire, le Conseil des ministres de l’Économie et des Finances définit à Dublin le « Pacte de stabilité et de croissance ». Celui-ci dispose que les pays qui participeront à la monnaie unique ne pourront afficher un déficit budgétaire supérieur à 3 % du PIB. En cas de dépassement, des sanctions financières pourraient être appliquées à l’État membre « déviant », sauf si celui-ci peut arguer de « circonstances exceptionnelles » (par exemple, une catastrophe naturelle ou une récession “grave”).
Ce compromis inquiète ceux qui y voit le tour éternellement restrictif que vont revêtir les politiques budgétaires nationales à l’horizon de la monnaie unique. Associée à l’absence de toute évolution vers un fédéralisme budgétaire européen, cette tendance risque de remiser définitivement toute politique budgétaire active ou contra-cyclique au rayon des antiquités de la politique économique et, par voie de conséquence, de fragiliser la zone euro.
La ratification d’un nouveau traité - le traité d’Amsterdam censé compléter le volet politique du traité de Maastricht - très modeste dans ses ambitions, montre que l’Europe est incapable de réformer en profondeur ses propres institutions, incapable de faire décoller son union politique, incapable d’inscrire ses élargissements futurs dans une perspective stratégique claire,... ; bref, incapable de donner une âme et un dessein mobilisateur aux mutations qu’elle prétend vouloir opérer. Les difficultés de préparation de la monnaie unique ne font que révéler, un déficit conjoint d’innovation organisationnelle et d’ambition politique.

Les États ont progressivement ouvert à la concurrence telle ou telle dimension de l’activité économique, puis, une fois confrontés à la nécessité de gérer en commun les conséquences de cette unification, ils ont tant bien que mal mis en place les procédures et les institutions nécessaires.La mise en œuvre de la monnaie unique a suivi cette même logique. Comme s’il s’agissait d’une affaire purement technique, comme si la monnaie n’était qu’un instrument neutre, comme si sa gestion et plus généralement la définition de la politique économique pouvaient ne pas être au cœur de la décision politique et, donc, du débat démocratique. Les États européens ont fait comme si cette situation était soutenable, parce qu’ils hésitaient à assumer la mise en oeuvre d’un réel gouvernement économique européen ou parce qu’ils défendaient une conception libérale de la gestion de la monnaie.