A partir du printemps 1992, la stabilité du SME commence à être mise en cause. La lire est la première monnaie contestée (affaiblissement du cours du dollar se traduisant par des achats de deutschemarks donc une dépréciation de la lire). L’incapacité à mettre en oeuvre une politique de stabilisation budgétaire, attestée par la crise gouvernementale et la situation très dégradée des finances publiques (déficits publics et ratio dette publique/ PIB), viennent renforcer ces premiers doutes. Les marchés prennent conscience de l’insuffisance de la convergence réelle de l’économie.

Les circonstances.

En juin 1992, le "non" l’emporte au Danemark lors du référendum sur le traité portant création de l’UEM signé à Maastricht en février. L’incertitude sur la probabilité de passer avant la fin du siècle à la monnaie unique grandit (la décision de passage à l’UEM doit en effet être ratifiée par tous les États signataires du traité). La spéculation prend appui sur ces hésitations pour attaquer la lire italienne. La Banque d’Italie et la Bundesbank interviennent durant tout l’été sur les marchés des changes pour défendre la parité de la lire. Face à la persistance de la spéculation, la hausse des taux d’intérêt décidée début septembre n’offre qu’un cours répit. Le 14 septembre la devise italienne est dévaluée de 7%. Trois jours plus tard, elle quitte le SME.

C’est également l’affaiblissement du dollar qui donne le coup d’envoi de la spéculation contre la livre sterling en juillet 1992. La Banque centrale britannique puise dans ses réserves de change, puis emprunte des devises grâce à la facilité à très court terme et enfin élève le taux d’intérêt jusqu’à 15%. La spéculation l’emporte finalement et la livre sort elle aussi du SME le 17 septembre.

Ce même jour, l’Espagne, atteinte par la spéculation, s’en tire avec une dévaluation de 5% de la peseta. Un second réajustement de 6% sera nécessaire le 22 novembre en même temps que l’escudo portugais (lui aussi dévalué de 6%). La crise se poursuit l’année suivante. Le 1er février 1993, la punt irlandaise est dévaluée de 10%. Le 13 mai, la peseta et l’escudo sont à nouveau réalignés (respectivement de 8 et 6,5%).
Enfin, en juillet, la spéculation se porte sur les francs belge et français et sur la couronne danoise. Ces devises n’évitent la dévaluation que parce que les États membres du SME décident le 1er août un élargissement des bandes de fluctuation à ± 15%. Au total, toutes les monnaies du SME auront vu leur parité vis-à-vis du deutschemark remises en cause, à l’exception notable du florin qui bénéficie des fruits d’une politique macroéconomique strictement alignée depuis 1982 sur celle de l’Allemagne.

Les causes principales.

1) La surévaluation de certaines monnaies, due à la persistance du différentiel d’inflation avec l’économie allemande. Cette explication ne vaut cependant que pour la lire italienne et dans une moindre mesure pour la peseta espagnole.
2) La réunification de l’Allemagne a constitué pour l’économie allemande dans son ensemble un choc de demande considérable à la fois par baisse de l’offre et par hausse de la demande.
Du côté de l’offre, la plupart des entreprises, dont la productivité s’est révélée de deux tiers environ inférieure à celle de l’Allemagne de l’Ouest, ne sont pas compétitives et sont condamnées à disparaître ou à être recapitalisées. Du côté de la demande, la conversion d’un deutschemark-Est pour un deutschemarks-Ouest, puis la perspective d’un rattrapage des salaires de l’Est par ceux de l’Ouest et l’octroi de transferts sociaux massifs, suscitent une forte hausse de la consommation. L’investissement est lui aussi puissamment soutenu. Comme le taux de change nominal du deutschemarks inchangé, une inflation en Allemagne supérieure à celle des États membres du SME (ce qui est le cas à partir de début 1992) signifie une surévaluation réelle du deutschemarks. Cette appréciation réelle était d’ailleurs implicitement recherchée par les autorités monétaires allemandes. Dès 1990, la Bundesbank s’engage dans une politique monétaire restrictive. En contraignant les autres pays européens à relever leurs taux d’intérêt, le resserrement monétaire allemand les incite à diminuer un peu plus leur taux d’inflation. La politique allemande de désinflation doit donc se traduire par encore un peu moins d’inflation en Europe, en fait une déflation.
La Bundesbank avait cependant suggéré un autre moyen d’obtenir le même résultat pour l’économie allemande sans conséquences déflationnistes pour l’Europe. Il s’agissait de procéder à une réévaluation, ce qui avait le double avantage de faire baisser le prix des importations et de permettre un desserrement de la politique monétaire dont auraient profité les partenaires européens.
Mais la France, puis l’Italie et le Royaume-Uni, lorsque leurs devises seront attaquées en septembre 1992, attachés à défendre la parité nominale de leur monnaie face au deutschemarks, ont refusé une telle solution. La Bundesbank a alors cessé d’intervenir face à ces deux dernières devises qui ont dû en conséquence quitter le SME.
3) Le ralentissement de la croissance et la montée du chômage à partir de la fin de 1991 conduisent les marchés à anticiper le fait que les États vont être amenés à revoir l’orientation restrictive de leurs politiques économiques. Comme ils se sont engagés, en signant le traité de Maastricht, à respecter les critères relatifs au déficit et à la dette publique, il ne leur est pas possible d’engager une politique de lutte contre le chômage par accroissement des dépenses publiques. Les marchés anticipent donc que le choix d’une politique plus expansionniste passera par un desserrement des politiques monétaires dont l’issue ne peut être que la dévaluation. Les marchés ne sanctionnent pas dans ce cas des politiques passées ou présentes mais parient sur un changement inévitable de politique économique à venir.
4) Enfin il faut prendre en compte le mécanisme de la spéculation auto-réalisatrice.
Les marchés ne se sont pas contentés d’anticiper les crises monétaires qui surviendraient inévitablement à la suite de changements de politique économique probables, ils les ont aussi provoquées, considérant que l’issue ne pourrait être précisément qu’un changement de politique économique