Le rapport public 2006 du Conseil d'Etat :

L’élaboration des normes juridiques est, pour la France comme pour les autres pays développés, à la fois tributaire de contraintes objectives et plus ou moins inéluctables, et de fonctionnements ou de comportements "pathogènes".


Certaines des contraintes objectives sont externes et liées aux engagements internationaux de la France résultant d’une volonté politique continue depuis la fin de la dernière guerre mondiale : la construction européenne et le droit communautaire, d’une part, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et les conventions négociées au sein du Conseil de l’Europe, d’autre part. S’y ajoute le maillage de conventions internationales, bilatérales et multilatérales, qui relie notre pays au reste du monde.

L’apparition de nouveaux domaines de législation parfois complexes et difficiles comme le droit de la concurrence, le droit monétaire et financier dans un contexte ouvert, les biotechnologies, l’économie numérique, les nouvelles approches de la propriété intellectuelle, la protection de l’environnement, contribue également à la multiplication et à la révision fréquente des normes.
Dans le domaine économique, la libéralisation de secteurs entiers tels que les transports, les télécommunications, ou bientôt l’énergie, appelle la fixation de règles de conduite des opérateurs dans des domaines par nature techniques et évolutifs, et justifie l’apparition d’un nouveau type de régulation caractérisé par de constantes adaptations.


D’autres contraintes résultent de choix du constituant ou du législateur : ainsi en est-il des transferts successifs de pouvoirs et de compétences en faveur des collectivités territoriales, du choix d’un statut spécifique pour chaque collectivité d’outre-mer, ou encore de la création d’autorités administratives indépendantes.

Les caractéristiques propres aux sociétés démocratiques, et notamment la nécessité de communiquer autour de la loi, la portée symbolique qu’elle revêt, les remises en cause dont elle est fréquemment l’objet à l’occasion de changements de majorité contribuent enfin, tantôt légitimement, tantôt de façon pathologique, à l’instabilité de la norme.
Ces dernières contraintes peuvent en effet, quand elles ne sont pas maîtrisées, conduire à des dérives, et à un dévoiement de l’usage de l’instrument normatif, soit qu’une préséance excessive soit donnée au souhait de communication, soit qu’en vue de satisfaire des groupes de pression ou l’opinion en général, on fasse voter des réformes avant de les avoir suffisamment pensées, ou bien encore qu’on se propose de faire jouer à la loi un rôle qui n’est pas le sien, dans une société sensible aux symboles.
De cette situation, le législateur est la première victime. Ses marges de liberté pour décider des sujets qu’il convient de traiter se révèlent de plus en plus restreintes. Et il en vient à ne plus exercer sa mission dans les conditions lui permettant d’élaborer des textes de qualité. Cela conduit en outre à sa dépossession.


Mais c’est surtout la société qui en pâtit. Le droit, au lieu d’être un facteur de sécurité, devient un facteur d’inquiétude et d’incertitude. La démarche de simplification court après ses objectifs. Les juges ne sont eux-mêmes pas toujours en état d’y remédier, et sont parfois conduits à prendre leur part de l’aggravation de la complexité.

Extrait du site de la documentation française